Théâtrez-moi
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Brefs entretiens avec des hommes hideux – 22 types de solitude

Il est un état de la société actuelle, une jauge du théâtre des testicules, grotesque, avec une question : jusqu’où peuvent aller les hommes hideux dans le processus de déshumanisation dans la sphère intime ?

Dans l’œuvre de David Foster Wallace, la langue est celle « du trop ». Elle est hirsute, labyrinthique et joyeuse. Le regard aigu de l’auteur, le plus radical et imprévisible des postmodernes, nous éclaire sur la société américaine en donnant constamment une forme adéquate à la réalité diffractée, éclatée. Son magnétisme, dans la lignée des Pynchon ou Carver, la metteuse en scène cosmopolite Yana Ross – artiste associée au Schauspielhaus de Zurich dont les acteur·ices de l’Ensemble sont époustouflant·es – en donne l’adaptation théâtrale la plus grisante et sans retenue.

On entre dans la pièce Brefs entretiens avec des hommes hideux par une maison californienne, au design simple et lumineux, où se déroule une vraie scène de sexe – interprétée au plateau par des acteur·ices du X. Le sexe est la possibilité pour Yana Ross de donner une profondeur de champ aux vingt-trois courtes nouvelles ici adaptées : il est un aiguillon sensible. Et pour nous, de saisir les aspérités, l’épaisseur et la noirceur de la masculinité toxique. Le sexe est là, dans cette oscillation lumineuse. Il est un état de la société actuelle, une jauge du théâtre des testicules, grotesque, avec une question : jusqu’où peuvent aller les hommes hideux dans le processus de déshumanisation dans la sphère intime ?

C’est bien dans la parole, la pornographie ordinaire et la succession d’ironies dramatiques et stylistiques, tel·les que la musique de saloon ou les cow-boys, que la mise en scène de Yana Ross gagne son urgence, son intensité et l’immédiateté du « Female gaze » (regard féminin) sur des questions tragiques. Il faut en assumer la charge subversive et émancipatrice ahurissante, voire scandaleuse.

Première belge